INTRODUCTION
La metformine, l’antidiabétique oral le plus utilisé dans le monde, pourrait-elle améliorer la prise en charge thérapeutique du cancer ?
Plusieurs études épidémiologiques récentes ont en effet montré que les diabétiques prenant de la metformine avaient beaucoup moins de risque de développer un cancer.
Depuis une dizaine d’années, de nombreuses études pré-cliniques in vitro ou in vivo ont également démontré l’activité anticancéreuse de la metformine.
Actuellement, l’objectif de la recherche clinique est de savoir si la metformine a seulement un effet préventif, ou si elle est également intéressante pour traiter un cancer déjà existant.
Jusqu’à présent, en médecine vétérinaire, la metformine est peu utilisée dans le traitement du diabète. Par contre, étant donné son potentiel anticancéreux et sa très bonne tolérance chez le chien et le chat, des études sont en cours pour évaluer son intérêt dans le traitement de diverses tumeurs canines ou félines.
ARGUMENTS EPIDEMIOLOGIQUES
En 2005, une première étude retrospective réalisée en Ecosse sur 11 876 patients diabétiques suggère le rôle protecteur possible de la metformine sur le développement de cancer (Evans JM, BMJ 2005).
En 2009, la même équipe de chercheurs confirme une réduction de 63% du risque de développer un cancer, tous cancers confondus, sur une population de 4085 diabétiques prenant de la metformine (Libby G, Diabetes Care, 2009).
En 2009, Li montre une réduction de 62% du risque de développer un cancer du pancréas chez les patients diabétiques prenant de la metformine (Li D, Gastroenterology, 2009).
En 2010, Bodmer montre une réduction de 56% du risque de développer un cancer du sein chez 22 621 femmes diabétiques prenant de la metformine depuis plus de 5 ans (Bodmer M, Diabetes Care, 2010).
Plus récemment, une étude épidémiologique prospective réalisée à Taïwan sur 800 000 personnes de 2000 à 2007, a montré une réduction significative du risque de développer un cancer du tractus digestif sur les personnes présentant un diabète de type 2 et prenant de la metformine, même avec une dose de seulement 500 mg par jour (Lee MS, BMC Cancer 2011).
DONNES EXPERIMENTALES
in vitro et sur modèles animaux
De multiples études in vitro ont montré que la metformine possède une activité anti-proliférative directe sur les cellules cancéreuse en culture (Ben Sahara I, Mol Cancer Ther 2010).
En particulier, cela a été montré sur des lignées cellulaires de tumeurs du sein, colon, ovaire, pancréas, poumon et prostate. Ces études in vitro on été confirmées par de nombreuses études sur des modèles murins de xénogreffes de tumeurs humaines.
La metformine agit également en synergie avec plusieurs molécules de chimiothérapie doxorubicine, carboplatine, paclitaxel) (Iliopoulos, Cancer Res 2011) en ciblant plus précisément les cellules souches cancéreuses souvent à l’origine de rechutes liées à la chimiorésistance (Hirsch HA, Cancer Res 2009)
ESSAIS CLINIQUES en cours
Etant donné le peu de toxicité de cette molécule et son intérêt potentiel en cancérologie, de nombreux essais cliniques sont actuellement en cours chez l’homme pour évaluer l’intérêt thérapeutique de la metformine chez les patients atteints de cancer, diabétiques ou non (voir www.clinicaltrials.gov).
Tant chez l’homme que chez l’animal, peu d’études concernant l’utilisation de la metformine dans le traitement de tumeurs spontanées ont déjà été publiées. En 2011, Hadad et col ont publié une étude prospective randomisée prouvant l’activité anti-proliférative de la metformine sur 47 femmes porteuses de cancer du sein (Hadad et col, Breast Cancer Res Treat 2011).
MECANISMES D’ACTION
Le mécanisme d’action exact de l’activité anticancéreuse de la metformine est encore mal connu et de nombreuses équipes travaillent encore sur ce sujet (Bost F, Curr Opin Oncol 2012).
La metformine inhibe la néoglucogénèse hépatique et augmente la sensibilité des cellules musculaires et adipocytes à l’insuline, ce qui entraine une diminution de l’insulinémie. La réduction de l’insulinémie chronique, tout comme la réduction de IGF1, pourrait intervenir dans les effets protecteur de la metformine sur le développement de cancer chez les patients diabétiques.
Au niveau du métabolisme cellulaire, la metformine active l’AMPK (AMP-activated protein kinase), une enzyme très importante intervenant dans l’activité de l’insuline au niveau cellulaire, et donc dans le métabolisme du glucose et des graisses. L’activation de AMPK entraine une inhibition de mTOR (mammalian Target Of Rapamycin), une enzyme cellulaire de la famille des kinases qui intervient dans la prolifération et la survie cellulaire. Depuis plusieurs années, la suractivation de mTOR est associée à la tumorigénèse et de nombreux médicaments inhibant mTOR sont actuellement en développement (Guertin DA, Cancer Cell, 2007).
La metformine augmente la chimiosensibilité des cellules tumorales en diminuant la production de glycoprotéine P (PGP codée par le gène MDR1). Cette protéine membranaire favorise l’efflux des xénobiotiques à l’extérieur des cellules et est responsable de chimiorésistance multiple (« Multi Drug Resistance ») (Kim HG, Br J Pharmacol 2011)
EFFETS SECONDAIRES
La metformine est un médicament utilisé depuis très longtemps et dont les effets secondaires sont bien connus chez l’homme. Il s’agit principalement de nausées et de ballonnements, et plus rarement de vomissements ou de diarrhée. Ces effets secondaires sont bénins et peuvent être limités en augmentant progressivement les doses.
On peut régulièrement voir dans la littérature scientifique que les biguanides augmentent le risque de développer une acidose lactique sévère. En réalité, une étude publiée en 2010 a montré que le risque de développer une acidose lactique n’est pas plus élevé avec la metformine qu’avec les autres anti-diabétiques oraux (Salpeter SR, Cochrane Database Syst Rev. 2010 ). Par contre, la phenformine, un autre biguanide, a été retiré du marché américain car elle était responsable de cet effet secondaire grave.
Chez le chien et le chat, les seuls effets secondaires constatés ont été des nausées, des vomissements et parfois une perte de poids lors d’utilisation chronique. Aucun effet secondaire grave n’a été constaté et n’a nécessité l’arrêt du traitement.
CONCLUSION
Les études préliminaires montrent que la metformine peut sans aucun problème être ajoutée aux chimiothérapies actuellement recommandées chez le chien et le chat, à des posologies de 10 à 20 mg/kg matin et soir.
Un essai clinique est actuellement en cours au Western College of Veterinary Medicine – Saskatchewan University au Canada par le Dr Valerie MacDonald-Dickinson (DVM DACVIM-Oncology, Associate Professor) pour cibler les lymphomes malins du chien devenus chimio-résistants.
Des études supplémentaires sont nécessaires pour évaluer l’intérêt clinique de la metformine dans le traitement des cancers du chien et du chat, mais cette molécule semble prometteuse pour diminuer la chimio-résistance et cibler les cellules souches cancéreuses.
BIBLIOGRAPHIE
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